Voyage en charter par Sterling Airways, dans un DC6 B, avion obsolète avec moteurs à pistons, mais moins cher.
Une jeune norvégienne qui rentre chez elle trouve que la langue que
m'enseigne le manuel écrit par Harry Persson est obsolète, et que plus
personne ne parle plus ainsi.
A l'arrivée dans la nuit à Oslo Fornebu, pas mon sac à dos, personne pour me renseigner avant le lendemain matin. Il est parti à Stockholm, et ne reviendra que le lendemain en fin d'après midi. D'abord je tâche de dormir sur un banc, et c'est bien dur. Me voici donc à explorer la ville d'Oslo bien trop couvert, avec le pantalon de montagne en corde à fouet, et les chaussures de montagne aux pieds. J'apprécie les ombrages du parc royal, ouvert à tous. Le centre d'Oslo est une ville bourgeoise, manifestement conservatrice à en juger par la qualité des matériaux (granite) et l'austérité de l'architecture.
Une nuit précaire à l'Auberge de Jeunesse, sur-remplie, puis la gare et départ en train pour Oppdal.
Je n'avais aucun appareil de photo : rien d'autre que mes yeux et
quelques traits de stylo sur mes cartes.
Depuis, d'autres randonneurs furent bien mieux équipés,
et ont mis des
photos en ligne. Ambiance fidèle par exemple sur
http://www.hacom.nl/~nico/hiking2002.htm#2002d,
leurs quelques photos
prises en juillet 2002 dans le Jotunheimen (Nico et Petra Vermaas sont
néerlandais) ;
excellents récits de voyage par trois jeunes suédois
à http://www.tilltopps.com
;
alpinisme à http://home.online.no/~slunde/album30.html
(Svein
Lunde) ;
Pourquoi le Trollheimen ? La magie du nom ? Maison de troll :
ce massif est peu connu, les sommets y sont peu spectaculaires.
J'étais bien modeste dans mes objectifs.
Je suis parti d'Oppdal monstrueusement chargé, au moins vingt-cinq kilogrammes de sac. Mes cuisses flageolaient dans la montée. Je devais m'arrêter souvent.
A en croire les croix restées sur ma carte au stylo à
bille rouge, mes bivouacs furent :
Le premier à la descente de Blåöret (l'oreille bleue)
par les Fin Piggerne (les jolies filles ?), avant de guéer la
petite rivière Vekve (Vekveåén),
Le second bivouac le long du lac Gjevil, peu après la fin de
la route de terre carrossable à Gjevilvasshytta. Quand je
demande mon chemin à une maison, une femme stupéfaite me
pose la question centrale : « Mais enfin aimez-vous
être seul ? ». Ma connaissance du norvégien est
suffisante pour comprendre la question, mais insuffisante pour
réfléchir à haute voix dessus.
Ce n'est que l'année suivante, que je saurai approvisionner en cartes détaillées. Voici donc la carte où j'aurais dû suivre mon premier itinéraire au départ d'Oppdal :
Gros problème pratique qu'on soupçonne mal depuis la
France : les moustiques ! La lotion répulsive
achetée en France, mise dans mes cheveux, a fait un gros trou
rond dans l'enduction imperméable du rabat du sac... Je garde un
souvenir ému, un sale souvenir, de ma seconde étape en
1968, le long du lac Gjevilvatn. Au point que mon souvenir
phonétique s'était adultéré, rebaptisant ce
lac en « Myggvatnet
» (le lac du moustique !). Tant que je marche d'un bon pas, le
théorème de Zénon d'Elée fonctionne encore
assez bien : les moustiques sont toujours à bourdonner
derrière moi, sans trop me rattraper. Mais bientôt,
voilà une barrière à ouvrir et refermer
soigneusement derrière soi. Alors là, qu'est-ce que les
moustiques rattrapent le temps perdu ! Le plus affreux, c'est quand il
faut bien poser le sac, et aller déculotter pour faire la grosse
commission : quel supplice à abréger
précipitamment !
Pour dormir, avec le frais du soir, de préférence au
col (troisième bivouac entre Vassenden et Storli), là
où les moustiques sont nettement moins nombreux, les spirales
allumées près de ma tête, me permettront un repos
bien mérité. Elles ont suffi, même en plein air.
A l'arrivée vers les zones habitées à nouveau,
vers Nerdal, je campe à côté de deux frères
néerlandais. Ils sont stupéfaits de la petitesse de ma
tente-cercueil. Fièvre des longues et claires soirées
d'été : deux filles de fort embonpoint et
légèrement soûles, quittent
bientôt leur feu de camp, et viennent discuter de part et d'autre
de la barrière d'entrée de la pâture, nous donner
des
leçons d'élocution norvégienne. Leur leçon
de 'hæm' en particulier
était
aussi boursouflée
que leurs Ego et que leurs mamelles, ce qui n'est pas peu dire.
Gros repos et lavage de linge à l'auberge de jeunesse de Sunndalsöra, ville productrice d'aluminium.
Première étape courte : par la route je rejoins le bout d'Öksendalen, et à la dernière ferme, je tourne à droite vers la montagne, plein W. Juste avant, je m'avise de demander l'itinéraire à un vieux. Il est très volubile, mais je ne comprends pas un mot. Sans doute son patois de l'Ouest est loin de celui d'Oslo ? Il est aussi édenté…
Impossible de planter la tente à l'étage
forestier : très pentu, sol trempé, et plein de
branches et souches, propres à déchirer le tapis de sol.
Il faut monter plus haut pour parvenir à trouver des endroits un
peu plus horizontaux.
Ma tente est bien froide en altitude (environ 1200 m). Je m'avise de la chauffer ! Gare ! Un geste maladroit, et ma gamelle fait fondre un large croissant de nylon. Fin de la carrière utile de cette tente. Je la réparerai à mon retour en France, et lui rajouterai un léger double toit. Mais même ainsi, elle restera peu utilisable, trop perméable à la pluie. Elle me servira deux fois en forêt de Fontainebleau. Elle disparaîtra mystérieusement après que je l'aie donnée à l'aîné de mes beaux-frères. Mes soupçons se portent sur leur mère, incapable de tolérer une manifestation d'indépendance des garçons, un écart trop loin de ses jupes. Et puis heureusement pour lui, mon beau-frère n'eut pas besoin d'en passer par la solitude d'homme des bois pour échapper à sa mère : d'une part parce qu'elle décéda à temps, ensuite parce que lui ne fut jamais acculé à la perte de tous les liens sociaux, mais fut bien dirigé vers une école d'ingénieurs.
En bas, d'Överås, je contourne le nord du lac de
la valée de l'élan, Elkesdalsvatnet, jusqu'à
Mæringdal,
effectue une petite étape de moyenne montagne, et je rejoins une
petite route à Grövsdalsbu, puis descente jusqu'à
Isfjorden et Åndalsnes.
Inexpérimenté, je suis parti bien trop chargé.
C'est à Åndalsnes que je réexpédie une
partie de mon matériel en France : la mauvaise
tente-cercueil, percée désormais, mes jumelles de mer, et
ce qui est plus contestable, mes chaussures de montagne. Je n'ai retenu
d'elles que les ampoules, et leur qualité excessive quand on
doit marcher sur les routes goudronnées. Dès demain, je
regretterai de m'en être séparé, car les fines
baskets qui me restent sont inadaptées, bien trop minces.
En stop jusqu'en haut de la montée de Trollstigveien, à Trollstigheimen, puis je descends à pied le long de la Meierdalen, vers Valldal et Sylte. Je prends la mesure de la stupidité de mon renvoi en France de mes chaussures de montagne : les baskets à semelle mince me laissent sentir douloureusement chaque caillou de la route.
A l'auberge de Jeunesse de Valldal, deux allemandes font part de
leurs soucis avec des Velosolex, peu adaptés à la
sévérité du relief norvégien, et de la
stupeur du garagiste mécanicien, surpris qu'un engin aussi
simplifié puisse encore fonctionner du tout. Sans doute est-ce
aussi à cette AJ, que j'ai discuté avec deux
étudiants norvégiens assez francophones pour me
détailler les deux langues de leur pays, et m'affirmer qu'Ibsen
s'est moqué du Nynorsk (néo-norvégien, plus connu
sous le nom de Landsmål : langue de terroir, par opposition
au Riksmål, langue du royaume, rebaptisée en suite
Bokmål, langue de livres, constitué au 19e siècle
d'abord par Asbjørnsen et Moe, puis par Ibsen et Bjørnson
comme danois renorvégisé) dans
Peer Gynt, dont ils me donnent le résumé
détaillé. Vérification faite dans Peer Gynt, ce
garçon a exagéré : au dernier acte, le vieux
de Dovre a quitté sa couronne de roi des Trolls, pour se rendre
à Oslo, faire carrière au théâtre, il
paraît qu'on y cherche des types nationaux. Ibsen brocardait donc
les excès du nationalisme en littérature, mais il n'y a
pas dans le texte de trace qu'il brocarde directement les efforts
d'Ivar Åsen pour faire renaître un mix de la langue du
moyen âge, et des dialectes de l'ouest, sous le nom de
Landsmål.
Pièges de notre langue pour ce garçon : La Fjordsdalen
(au Sud du Sognefjord) est une région fruitière, et non
pas fructueuse ! Mot de filiation populaire, désignant un
commerce, et non savante.
On traverse en bac vers Eidsdal, et je prends à pied le
long de la route, ou à quelque distance. Après le
bivouac, au petit matin je descend en même temps que le Soleil
sur Geiranger. Anthony Dyer, en 1999, a pris une vue prise d'un angle
voisin de ma vue à la descente : http://cgi.mountaineer.plus.com/norway/aug99/aug99ce.jpg. Patrick Millerioux aussi a pris des vues superbes du Geirangerfjord
:
|
J'ai la surprise qu'en commençant à monter par la ville d'Hellesylt, je vois s'arrêter un minibus VW, et le chauffeur me propose un lift jusqu'à Stryn. Il est instituteur en Grande Bretagne à Leeds, et emmène chaque été des enfants en grandes randonnées de ce genre. Il a décidé de m'offrir ce lift, suite à la curiosité des garçons, qui m'ont remarqué sur le bac. Il faut que je leur raconte comment je vis quand je suis en montagne. Ceux qui vous prennent en stop, sont toujours des gens intéressants.
A Stryn, je vais m'installer pour l'après-midi au bord du Nordfjord (plus précisément de sa branche Innvikfjord). Je suis surpris : malgré les goémons marins, l'eau est douce au goût, potable. Voici à quoi cela ressemble, un fjord en été :
De Stryn, je me rends par la route à Olden. La route est
récente, taillée à la dynamite dans les flancs
abrupts du fjord. Là un goéland avise que le
piéton que je suis, serait bien plus menaçant pour la
rookerie qu'il garde, sur la mini-falaise qui domine la route, que ne
le sont les voitures… Il me fait une dizaine de
démonstrations
d'attaques en piqué, et de voltige, en criant tout ce qu'il peut
pour m'impressionner. Jusqu'à ce que je sois assez loin pour ne
plus l'inquiéter. D'Olden je remonte la vallée de
l'Oldedalen jusqu'à Briksdal. Je ne soupçonne même
pas l'existence de la langue glaciaire qui attire les touristes (ce
réflexe de ne pas faire ce que font les autres !), et je
continue par le sentier montagneux jusqu'à Åmot.
Me voici donc sur la route de terre qui quitte Åmot, au matin.
Une Citroën Dyane rouge me dépasse et s'arrête. En
anglais, le chauffeur me propose un lift. C'est un jeune couple
d'étudiants en sociologie, néerlandais. Ils
m'expliquent : "On a vu un immense sac rouge avec des jambes,
et on a voulu savoir ce qu'il y avait devant ce sac". Puis un vieux
tout trapu et extraordinairement vert et vif les salue. Ils
m'expliquent : c'est le guide, qui les a conduit hier sur le
glacier, le Jostedalsbre. Un vieil infatigable et enthousiaste, qui
tenait à leur en donner pour leur argent, alors qu'elle surtout
criait mercy... Nous discutons évidemment des
événements de mai 1968 à Paris, qui attire leur
attention de sociologues.
Ils ont dû planifier soigneusement leur voyage : en été, on réserve sa place plusieurs jours à l'avance sur les bacs, et ils doivent tenir coûte que coûte leur horaire. Je les quitte à l'embarcadère de Dragsvik, d'où ils vont continuer sur Hella.
De mon côté, je contourne un petit fjord vexant, pour rejoindre l'AJ de Balestrand. A l'AJ de Balestrand, un groupe de jeunes anglais est endiablé en chansons. Folkloriques ? à moins qu'elles ne soient fort lestes, voire paillardes.
Première correction du renvoi excessif de matériel en
France depuis Åndalsnes : j'achète une paire de chaussures
à semelles plus
épaisses, genre Pataugas, mais de fabrication portugaise, et me
voilà paré pour les sentiers du Jotunheimen (le
séjour des géants). Pour cela prendre le bac à
Balholm, qui remonte tout le Sognefjord, puis l'Årdalsfjorden.
Discussion avec le steward ; c'est pour lui un travail
d'été. Nous arrivons à la nuit.
A l'arrivée à Årdalstangen, tous prennent le bus
qui les déposera à l'hôtel à Övre
Årdal (Årdal d'en haut). Irréductible, je monte
à pied dans la nuit. Je suis surpris de détailler fort
bien les Pléiades dans la nuit claire. Bivouac peu avant la
ville d'Övre Årdal. Il faut ultérieurement profiter
de l'éclaircie et du soleil pour bien faire sécher duvet,
abri et sursac, sur un grand rocher.
Je remonte la vallée de l'Utla. Exceptionnellement dans ce
pays, elle est taillée en V par une rivière très
active depuis la fonte des glaciers. Bivouac à la belle
étoile au dessus de Vettismorki.
Pour une fois abri payant au
refuge de Skogadaslböen. Je paye un supplément, parce que
je n'ai pas pris de repas, juste la nuitée. Au salon, deux
fillettes costumées donnent un petit concert. L'une chante,
l'autre l'accompagne à la cithare. Puis je repars bientôt
vers l'Est par Skogadalen, j'évite Olavsbu par le Sud, puis
descente Sud-Est vers Sjogholsvatnet, puis plein Sud sans sentier vers
le lac de Bygdin. Belle vue du Sjogholsvatnet
par Anthony Dyer et père, prise en 1999.
L'oiseau dont la présence domine dans la toundra
norvégienne est le pluvier doré ou heilo. Belle
photo à http://fulmar.free.fr/photo_274.html
par Didier et Yves
Bas. Le ventre est plus visible sur cette vue : http://www.birdforum.net/pp_gallery/data/527/58goudplevier01.jpg.
Ses
sifflements d'alerte saluent votre passage, un peu comme ceux des
marmottes dans nos Alpes.
Bien entraîné, sac allégé à 18 kg,
je me suis offert le plaisir de courser un lagopède dans la
toundra du Jotunheimen. Dans la toundra de montagne scandinave, presque
tous les oiseaux ont le
plumage très similaire : du bruant lapon au pluvier doré,
tous
ont sur les ailes la même bande blanche entre deux bandes noires.
Tous ont le même comportement pour protéger leur
couvée : mimer l'oiseau blessé, pour vous inciter
à le chasser, et à vous éloigner ainsi de la
couvée. Mais en cette fin de saison, s'ils jouent encore cette
comédie par réflexe, ils le font sans conviction, et
oublient d'être de bons acteurs. Malgré ce sac
allégé à dix-huit kilos, j'ai coursé ce
lagopède par plaisir pendant deux cents mètres.
Bruant lapon à http://fulmar.free.fr/photo_215.html.
D'autres marcheurs, après moi, ont pris d'excellentes photos.
Regardez celles-ci :
http://home.no.net/torztein/mountains/august01/day3.htm
Ou celles-ci : http://easyweb.easynet.co.uk/~gsoto/jotun3.htm
ou celles-ci :
http://www.geocities.com/Yosemite/Rapids/6355/noorweg1/fo_gjende08.html
http://www.xs4all.nl/~hejoly/jotunheimen2001/jot2001-d24.html
Et trois jeunes suédois vous prennent en main à
http://www.tilltopps.com/index.php?menu=8&page=5
: quelques photos
du Jotunheimen sur leur site si riche.
Bivouac dans la montagne en vue du lac. Descente le lendemain matin
sur Eidsbugarden, pour prendre le Bitihorn, bateau qui dessert le lac
de Bygdin. A Eidsbugarden, un sculpteur taille dans le granite une
monumentale tête. Ivar
Åsen selon mes souvenirs ? Faux ! Il
s'agissait en fait de Aasmund Olavsson, l'homme qui avait contruit la
première maison sur ce site. Ce sont les trois mêmes
randonneurs suédois qui ont levé le doute, à
l'adresse
http://www.tilltopps.com/index.php?menu=8&page=12.
Voici de lac de Gjende : Gjendevatnet, par beau temps, au nord de Bygdin. Le bateau en service sur le Bygdin est le M/B Bitihorn, depuis
1912, il relie Eidsbugarden à Torfinsbu puis Bygdisheim, deux
fois par jour.
A l'arrière, une famille a du mal à faire
accepter son bât à un fort chien blanc. Un néerlandais a photographié ce Bitihorn, qui
depuis 1968 a été remotorisé (à retrouver). Belle photo du lac de Bydgin et de Eisbugarden à http://www.xs4all.nl/~hejoly/jotunheimen2001/jot2001-d13.html http://members.lycos.nl/jahennum/jotun2000.html. La fameuse arête de Gendin par laquelle Peer Gynt effraie Åse, à l'acte 1 scène 1, est photographiée par de nombreux alpinistes et randonneurs de montagne, par exemple à http://members.lycos.nl/jahennum/images/besseggen3.jpg et http://www.xs4all.nl/~hejoly/jotunheimen2001/jot2001-d32.html. |
Arrivé au bout de la
traversée, à l'hôtel Bygdisheim, les passagers
attendent le car qui les descendra à Fagernes. Un peu de repos,
puis je remonte par la route jusqu'à l'auberge de jeunesse de
Valdresflya, où m'attendent deux ou trois courriers, dont au
moins un de mon père.
Ce fut aussi un temps de réflexion. J'ai reçu des
courriers
parentaux à la minuscule auberge de jeunesse de Valdresflya, au
dessus de Bygdin. Quelques jours plus tard, dans la Valdres, par
courrier, j'exposerai à Georges mes réflexions
post-soixante-
huitardes : je m'affirme comme définitivement
social-démocrate, non par adhésion à quelque
organisation ni corps de doctrine, dont je sais qu'ils m'obligeront
à me boucher le nez, mais parce que c'est la seule position
politique qui ne condamne pas à un immobilisme rageur et
rêveux, sans prise sur les événements réels,
et qui ne ruine d'emblée ses propres objectifs avoués.
De ce point de vue, la retraite solitaire en montagne, a été féconde pour mon individuation, au moins sur le plan politique, qui avait été bien plus vaseux au long des précédentes années d'Université. Mais il en restait beaucoup à faire dans les autres domaines !
Au sud du Jotunheimen, la vallée de la Valdres est vantée par les guides touristiques : le drame national de Peer Gynt oblige ! J'ai été plutôt déçu. Sauf les fraises des bois, succulentes. Et puis, sans neige en amont, il devient franchement difficile de trouver de l'eau à boire, qui ne soit pas trop suspecte. En montant vers une « stavkirke » (église en bois debout) que mon guide Nagel recommande, je vois le plus beau renard roux que j'aie vu de près à l'état sauvage. |
La secrétaire du laboratoire affirme très fort son
origine bretonne, et nous envoie souvent ses « Kor ! en breton
». Je précise donc à mes collègues de labo,
par carte postale, qu'on ne sait pas très bien si, quand les
lagopèdes s'envolent devant vous, ils vous caquettent « Korrrrr
! » en breton, ou « KKKKKKK ! » en
français.
Traversée à pieds jusqu'à Gol. Heureusement, il y a les fraises des bois. Je tente une fois de faire du feu à la naturelle, et je suis bientôt épouvanté de la difficulté à éteindre cette « terre », en réalité litière de bruyères, combustible. Ma réserve d'eau y passe presque entière.
Vers Furuset et Guriset, les enfants d'une dizaine d'années sont fiers de montrer qu'ils ont appris de l'anglais à l'école, la seule et unique langue étrangère, comme chacun sait, par un sonore « Good Morning ! », et sont surpris que je leur réponde d'un bon « God Dag ! ».
J'ai plaisir à les voir juchés sur les tracteurs, mêlés de près aux travaux des champs, heureux de suivre les adultes et parents.
Plus tard dans la fin d'après-midi vers Kamben, un paysan arrête son tracteur au moment où il me dépassait, pour entamer conversation, et me proposer de monter. Devenu homme des bois assez sauvage, je remercie poliment. Je bivouaquerai dans un bosquet guère plus loin, où je lutterai difficilement contre une pluie insistante. Mon équipement est quand même trop précaire, limité à cette feuille de polyéthylène armé et aluminisé, que la pluie ne traverse pas, mais sous laquelle mon duvet est mouillé de condensation.
Descente en stop, depuis Gol. Stop par un instituteur
norvégien qui a un vieux Combi VW, et qui prépare un
déménagement avec sa femme (je les verrai le lendemain,
chargés jusqu'au toit), puis par une famille aisée et
cultivée, où madame profite de ma présence pour
réviser son français. Des gens
extrêmement aimables.
Et enfin Hönefoss (cascade des poules), puis Oslo.
21 août 1968 : invasion de la Tchécoslovaquie par les chars russes. J'étais à Oslo ce jour-là. J'ai eu la surprise de voir la police montée encadrer et protéger une manifestation d'étudiants. Je déchiffrais les panneaux : « Il y a 28 ans, c'était nous ! », leur invasion par la Wehrmacht. Les titres des journaux faisaient le même parallèle : « Ingen Quisling å finne ! » titrait l'Aftenposten : Impossible de trouver un Quisling. Plus tard, les russes trouvèrent pourtant leur Gustav Husak. Moi, français, j'étais surpris de voir des policier encadrer et protéger une manifestation d'étudiants, au lieu de leur courir sus, et de les bastonner sauvagement. La Norvège m'a paru un pays bien pacifique, en comparaison de la France.
Professeur de Français, Rolf Vige (c'est son vrai nom) me
montre le feu rouge et le passage piéton, où passait
l'hiver dernier une famille d'élans, en respectant bien le feu
vert comme des piétons bien élevés. Rolf me montre
ses difficultés à prononcer les « p »
à la française, sans éteindre une allumette
brûlant devant la bouche. Rolf me montre sa souffrance devant un
passage de Rabelais, presque partout indéchiffrable pour lui. Je
le rassure : Rabelais est fort difficile à lire pour les
français, même très cultivés.
Achats : un sursac Norrøna qui sera très
apprécié (il servira par exemple quand l'auberge de
jeunesse d'Oslo sera complète : bivouac dans un parc à la
belle étoile) ; et trois achats en soldes de fin
d'été : un blouson de nylon noir de 140 g qui sera
très apprécié sous le bruine à l'approche
de Helagsfjället en 1970, et qui est encore visible en 2004 sur
moi au sommet du Mézenc, un coupe-vent imperméable qui
n'aura pas une si grande durée de vie, mais sera bien utile sous
la pluie persistante entre Haukeligrend et Rjukan, et un anorak
perméable de faible valeur pratique, qui me sert encore de veste
d'intérieur (bleu marine).
Puis, en stop, je suis allé à Kristiansand, ville principale du Sørland, voir de très vieux amis, le professeur Fredrik Werring et sa famille. Werring avait toujours son petit bateau bordé à clins, tout blanc, plus fin et plus léger que nos pointus méditerranéens. Toujours ce remarquable et inusable petit moteur marin SABB monocylindre, au régime incroyablement lent (240 tours par minute, si mes souvenirs et ma mesure sont exacts !). Le calme et le charme de cette côte rabotée et sculptée par les glaciers quaternaires, aux innombrables rochers et îlets, tous aux formes douces ! Werring faisait son café sur un feu de bois. Du bois ? Oui, du bois d'épaves flottées. Que sa cafetière était noire de suie !
Onze ans plus tôt, en 1957, Gunnar Høst m'abordait
finement sur le ponton. Nous attendions les divers bateaux, tous
traditionnels et bordés à clins, qui devaient nous amener
sur une des îles. En attendant, je regardais avec envie et
admiration des jeunes gens fortunés, gréer un assez gros
hors-bord (c'étaient encore des moteurs rares, à cette
époque, en 1957) sur un dinghy à fond plat, charger des
skis nautiques, et partir très vite. Høst m'aborde alors,
les yeux tout plissotés de sa bonne finesse toute philosophique,
et moule avec délectation chaque mot de sa question :
« Que pensez vous de cette nouvelle mode, de mettre de
très gros moteurs sur des bateaux très légers ?
». Exégète de renommée internationale, en ce
sens qu'il était LE spécialiste mondial de
l'écrivain français André Maurois, Høst
n'avait pas très bien apprécié le fait que j'avais
treize ans, et aucune propension à la philosophie, aux
pièges de mots, à la thèse, l'antithèse (et
la fouthèse ?) : il n'a pas pu tirer un seul mot de moi !
Comme Assurancetourix, le barde du village gaulois, Høst faisait
deux camps tranchés : certains français admiraient
sans réserve sa technique de maïeutique, admiraient la
profondeur de ladite maïeutique ; mon père
était entre les deux camps : « Je n'ai pas
découvert quelle est la pensée de Høst ; elle
fuit toutes les fois que je crois l'approcher, mais je pense qu'il y en
a une ! », et les norvégiens francophones de la
rencontre - dont Jon Grieg - faisaient tous partie de l'autre
camp : « Mais non Georges ! Il n'y a aucune
pensée chez Høst, il n'y a qu'une technique de
questionnement d'autrui, et rien d'autre ! »
Grâce aux relations de Werring à Kristiansand, je visite un chantier naval (il construit en acier), et nous discutons quelque peu des techniques de traçage.
Je quittte Kristiansand en remontant la vallée de la Setesdal. Autrefois un bout du monde, où les paysans vivaient en ne comptant que sur eux-mêmes, c'est maintenant de la campagne civilisée et moderne du haut en bas. Le Guide Nagel vante des monuments qui me déçoivent, et le château du puissant seigneur Hestakorn. Ne rêvez plus, ce nom à la sonorité belliqueuse ne signifie rien de plus noble que "grain aux chevaux", c'est à dire que cet exploiteur du labeur des paysans, était riche. De nombreuses boutiques vendent des boutons d'argent, à l'ancienne.
Dernier stop par une infirmière dans sa vieille Saab deux temps trois cylindre, avec son jeune et athlétique compagnon, jusqu'à Haukeligrend. En haut, à Haukeligrend, on rejoint la grand route qui relie Stavanger, Odda et Haugesund aux villes de l'est, par le bord sud du Hardangervidda. Sommeil dans une grange en sortie de Haukeligrend. De toutes les manières, la pluie et les sols détrempés interdisaient tout bivouac à la belle étoile. J'ai tenté de prévenir les propriétaires le soir, puis de les remercier le lendemain matin. Personne malgré la lumière. Le matin toilette à l'auberge de jeunesse de Grungedal. La Mère-Aub est une vive petite vieille, charmante dans un costume traditionnel. Selon le guide de 1969, son nom était Gunhild T. Flaaten. Merci Gunhild !
Puis je reprends à pied sous la pluie jusqu'à Rjukan, ville de l'eau lourde et de la Bataille de l'eau lourde. Bus jusqu'à Oslo. Et avion.
Continuer à la suite
dans : Opéré de la Gette.
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