En 1969, je suis retourné en Norvège,
bien mieux
préparé. Avion encore par Sterling Airways, cette fois ils ne perdent pas mon grand sac à dos. Je vais en train directement
jusqu’à
Fauske, un peu au delà du cercle polaire
(67°16’N,
15°24’E). En général, les
touristes continuent tout
droit en car vers Narvik. Le train tourne à gauche vers le
port
de Bodø (67°17’N,
14°25’E), son terminus. Moi, je
ravitaille chez l’épicier, puis je tourne
à droite, vers
la montagne de Rishaugfjellet, environ 800 mètres
d’altitude. En
gros, la ligne de partage des eaux fait la frontière entre
la
Suède et la Norvège, ce qui dans le nord, fait la
Norvège si étroite et escarpée, et la
Suède
bien plus large, bien moins accidentée. Les rennes en
liberté dans la montagne, puis les noms lapons des montagnes
sur
les cartes me montrent vite que je suis en Laponie. Ce que nous
appelons les Lapons se désignent dans leurs propres langues
(il
en reste neuf : neuf langues samis !) comme Sami. Comptez le nombre de
« k » dans
« Kvikkjokk » ! Conjecture à
vérifier : que
ce kjokk sami, désignant les sommets,
ait son
correspondant dans notre Massif Central, dans les monts du Velay,
où les dômes phonolitiques s'appellent localement
des "sucs",
d'après une base pré-indo-europénne en
"tsukko".
Pré-indo-européenne ? En tout cas connue dans
l'aire
celtique, où elle a laissé descendance en
"souche", et
les noms de famille en Souch, Suchet, Suchard... Rattaché
à l'allemand Stock.
Puisque nous y sommes, autant y aller bravement, voici quelques mots samis du nord (lapons) que l'on rencontre sur la carte (le dictionnaire est sami du nord / anglais : http://www.uta.fi/~km56049/same/svocab.html), suivis de cinq explications par Thorvald Wermelin :
almmái
almmáiolmmoš |
man,
male man, male |
eatnu | a big river |
goađaš | a small kota |
goahti | Sámi "tent" or other form of housing; den, lair (of bear); |
jávri | lake |
jiehkki
jiekŋa |
glacier glace |
jogaš | a small river, a stream |
johka | river |
luokta |
bay |
olmmoš
|
person |
čahca
|
pass (between mountains) |
várri |
fjeld,
mountain in Lapland; hill in the north of Scandinavia |
vuotna |
fjord |
alit |
blue |
rukses |
red |
tjåkko | Rejält
fjäll, ofta med
topp : montagne "solide", souvent avec un pic (?) (Source : Thorvald
Wermelin, in Ute). |
pakte |
Rejält
fjäll med
mycket branta sidor (brant sida) : montagne"solide" aux flancs
très escarpés. |
åive | Runt och mjukt
fjäll (ej
så
högt) : montagne ronde et douce (pas si haute). |
vare |
Skoglätt
(björk), mera
vanligt berg : colline boisée, ou bois, notamment de
bouleaux. |
kårsa | Brant i samband med
dal (vagge)
: escarpement en liaison avec une vallée, berceau.. |
Journée sur douze heures : marcher 7 à 8 heures, dormir 4 à 5 heures dans le hamac, et repartir vers Lilletverrfjellet (Petite Montagne Terrible), à environ mille mètre d’altitude. Marcher de 23 heures à 4 heures ? Eh oui : cette fois, j’étais assez tôt en saison, et assez au nord pour avoir mon soleil de minuit, orange et faible sur la crête qui domine de haut Nevervatnet.
Je me couche au petit matin dans une petite vallée
redescendant vers Lakså, sans autre
végétation que
le lichen et quelques herbes. A 5 heures, dans la lueur blafarde de
l'aube, je suis réveillé par un bruit de pas
énormes. Le temps de dégager le nœud de
mon duvet et le
zip de mon sursac, de m’asseoir et de regarder
stupéfait autour
de moi : deux rennes étaient passés à
deux
mètres de moi (les traces l’attestaient). Ils
s’étaient
arrêtés interdits, de mes bruits et mouvements
après leur passage, et me regardaient à 8 ou 10 m
de moi,
puis s’enfuirent au trot. Bon, mieux vaut rencontrer ainsi
des rennes
que des loups,
durant son sommeil...
Olle Erikson a multiplié les bonnes photos de
rennes à
http://www.olle-eriksson.com/Default.aspx?page=PhotoGallery&id=15.
En bas de la vallée, à Lakså, là où la Laksåga (ruisseau du Saumon) se jette dans le lac Övrevatnet (Lac d'en Haut), une ferme, isolée de tout. Aucune route n’y mène. Il n’y a que le lac : bateau l’été, traîneau sur la glace en hiver, et rien du tout en demi-saison. Pourquoi a-t-elle une vieille moto JAWA, alors que son réseau de sentiers est si restreint ? De part et d’autre de la ferme, la falaise. Le seul accès terrestre, semblera-t-il après la suite de mon expérience, sont les sentiers de crête, tels que celui que j’ai emprunté, bons pour piétons et mules, tout au plus. Voici à quoi ressemblent les paysages de lacs de montagne : |
Je n’ai plus confiance dans mon itinéraire initial vers l’est, trop long pour mon ravitaillement, voire pour mes forces, et je repars donc vers l’ouest sur un sentier à flanc de falaise. Bientôt, ce sentier se termine. Il faut rejoindre les hauteurs par la falaise. Le piolet me sert à cramponner dans les mousses. Encore un truc à ne pas faire, que j’aurais fait ! (Tout ce récit fut fait sans accès à mes cartes. Pardon de l’imprécision géographique qui n’a pu être corrigée qu’en janvier 2002).
Retour à Fauske. Prise du train à voie
métrique
vers Sulitjelma. Ville minière du cuivre, depuis sa
fondation il
y a un siècle maintenant, Sulitjelma n’est
reliée au
restant du monde que par ce petit train à voie
métrique, 1067 mm au juste,
aux nombreux tunnels.
Cette information valide en 1969 est périmée ! En 1972 le
site du
chemin de fer est devenu une route départementale, comme le montre la carte en ligne
disponible à http://ngis2.statkart.no/norgesglasset/.
L'activité minière est fermée depuis
1990, et la
ville est quasiment devenue une ville fantôme. En juillet
2003,
Anthony Dyer
est rentré en stop de Sulitjelma à Fauske, comme
il le
raconte avec de superbes photos à http://www.mountainhiking.org.uk/norway/jul03/jul03-2.shtml.
Cette ligne de Sulitjelma, en anglais : https://en.wikipedia.org/wiki/Sulitjelma_Line
En norvégien bokmål : https://no.wikipedia.org/wiki/Sulitjelmabanen
Les mines et l'industrie du cuivre : https://no.wikipedia.org/wiki/Sulitjelma_gruber
Un des autorails de cette ligne est préservé sur le minuscule tronçon préservé de la ligne de la Setesdal.
Veg Til Sulitjelma, l'histoire de Sulitjelma en vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=bopom6Raq7s
Les voitures tractées de couleur marron sont bien celles que j'ai connues, traction par un gros locotracteur diesel.
Le lendemain, je passe par des lieux où je
suis le premier à passer à pieds depuis
qu’on ne passe
plus à skis. Par endroits, je m’enfonce dans la
neige
jusqu’à mi-cuisses. Selon la confrontation de la
carte et de mes
souvenirs, je suis parti vers le NE : mes cartes sont cochée
près de Små Sorjusvatna, puis portent une hutte
près de l’Övre Sorjusjaure.
J’ai donc passé la
rivière sur un pont de neige avant Nedre Sorjusjaure, que
j’ai
longé par la rive nord.
Premier bivouac en Suède, sur un versant Est en face de
Sårjåjaurestugan, près du petit ruisseau
qui
rinçait mon linge imbibé de sueur. Ce
col passe
entre deux glaciers. A Sud, celui de Sulitälma, visible sur
l'image http://www.travelnotes.de/scandi/summer99/ppi20.jpg,
et au Nord
le Ålmajalosjägna (Glacier de l'Homme Bleu).
Dans la prairie de
Kappa Paimats en dépression aplatie (un lac
comblé),
attaque spectaculaire d’un labbe
stercoraire à
longue queue (stercorarius longicaudus), qui
défendait
les abords de son nid. Image
au sol par
Arjen, sauf que la vue est prise au Svalbard.
Meilleure image encore du skua
à longue queue sur BirdForum.net.
Voici une vue suédoise prise du Sud-Est, montrant le massif de Sulitjelma d'où je viens (en gros) : |
Une très belle aussi par Olle Erikson à :
http://www.olle-eriksson.com/DbPhoto.aspx?id=121
Second bivouac sous Stuor Tokivari : l’abri Zdarsky
tendu
entre un rocher et le piolet.
Cet abri Zdarsky ? C’est une tente très simplifiée, sans mâts ni piquets ni porte, pour le bivouac d’alpinisme en paroi, en nylon imperméable rouge. C’est prévu pour se suspendre par deux anneaux de sangles à deux pitons, pour vous abriter de la pluie et de la neige. Il n’y a de ventilation que par une petite manche au milieu. Pas de tapis de sol : on referme l’abri sous soi, par des boutons pression. Et ça pèse environ 880 grammes. Il m’a ainsi fait bien de l’usage jusqu’à peu après que je l’aie prêté à ma sœur et à son compagnon. Il a alors mystérieusement disparu. En 1971, j’avais agrandi un des pignons, pour que Gazonbleu et moi y soyons un peu moins à l’étroit. En 1968, je n’avais que deux mauvaises solutions : une microscopique tente cercueil non imperméable, qui est retournée en France dans le colis expédié d’Åndalsnes. Et une couverture de survie armée, qui me protégeait bien de la pluie, mais condensait fort. De nos jours, une simple bâche en polyéthylène armé, à deux euros, rend les mêmes services, pour cinq cent grammes. Autres détails techniques sur le matériel de bivouac. En août 68, à Oslo, j’avais acheté un sursac Norrøna, en nylon imper dessous, perméable dessus. Environ 330 g, et à l’époque, son prix était abordable. Le prix a bien flambé depuis. Depuis l’hiver 68-69, mon duvet était un vrai duvet de montagne cloisonné, un Lionel Terray, de 1300 grammes en petite taille. Un peu trop léger pour l’hiver, dans les bivouacs sur neige par moins vingt-cinq, mais très bien pour cette montagne estivale. |
Et quand il y a de la condensation ? On guette le premier
rayon de
soleil pour tout faire sécher sur un rocher sec... Le sursac
présente l’avantage qu’il garde pour lui
le plus gros de la
condensation, et qu’il est bien plus facile à
faire
sécher que ne l’est le duvet. De plus, on peut
garder ses plus
gros vêtements autour du sac, dans le sursac, et
s’en faire
éventuellement un oreiller.
Les matelas de mousse n’existaient pas à cette
époque.
Dans le Padjelanta, premier gué qui manque de
tourner
à la perdition. J’ai voulu traverser au moins
profond. Je
m’aperçois à temps que le courant est
bien assez fort
pour m’emmener en vrac au lac où flottent de
grands
glaçons, à peine
débâclés. Compris !
Je passe plus en amont, mouillé jusqu’au hanches,
mais en
sécurité dans un courant plus faible.
Après un
remarquable pont métallique (dû à
l’administration
des parcs nationaux : je suis dans le Padjelanta Nasjonal Parkan) sur
un torrent infranchissable (ce n'est pas lui, mais il ressemble au pont
sur la Lairojåkkå, plus au Sud, image à
http://www.travelnotes.de/scandi/summer99/ppi19.jpg),
bivouac dans une kåta
à la
lapone : bruine dehors. Une image d'une grande kåta
servant d'église,
à :
http://padjelanta.bios.ch/20040723/_s/dscn2249_s.jpg
(le preneur
d'images est suisse : Björn Tiemann).
Je suis au bord du petit lac de Ruddejaure. Je
dois disputer mes vivres à de petits rongeurs, souris ou
petits
mulots. Ici les lacs ont des noms qui évoquent les oies
cendrées du « Voyage
merveilleux de Nils Holgersson au dessus de la Suède
» : Sitasjaure, Virijaure ou Virihaure (les deux
translittérations coexistent), ...
Le néerlandais Fred Triep relate aussi une
excursion à
travers le Padjelanta à l'adresse
http://www.geocities.com/Yosemite/Rapids/6355/padjelan.html
mais sa
page ne comporte aucune photo. A
http://www.timberwolf.a.se/home/bild.JPG,
Lars Bergquist exposait le
11 octobre 2004 une photo de Kvikkjokk, mais il est à
craindre
que dans quelque jours ce lien soit périmé ou
changé. Affaire à suivre !
Arjen Droost relate une randonnée dans le
Padjelanta à
http://www.natureview.nl/hiking/
avec photos.
En Pologne, le site http://hektor.umcs.lublin.pl/~radjan/swegal.htm
ne
donne que trois photos venant du Padjelanta, les autres prises au
Sarek,
parc national plus montagneux.
En Suisse alémanique, voir :
http://www.wandern-in-schwedens-nationalpark-padjelanta.de/reisefotos.htm
(photos prises dans des condtions climatiques bien plus
clémentes que celles que j'ai rencontrées) et
http://padjelanta.bios.ch,
qui
est fort riche.
Retour en Norvège par des névés : Furusteinsfjellet puis Flatkjöllen. Tout cela au nord du Blåmansisen (le glacier au nord de Sulitjelma, ou en sami : Olmajalosjägna). Je vais croiser une piste d’ours dans la neige. Plus tard, cela suscitera de l’étonnement et de l’incrédulité : il en reste donc par là ? Je verrai deux skieurs dévaler une pente, au loin. Des skieurs ? Un coup de jumelles lève l’illusion : deux rennes ! Au cas où je n’aurais pas compris à quel point les quadrupèdes sont tous au moins dix fois plus agiles que moi, qui m’enfonce parfois jusqu’à mi mollets dans la neige fondante.
C’est à ce col-frontière, que je me féliciterai de la préparation méticuleuse de mon matériel. Au passage le plus froid de tout le voyage, sur la neige rougie par les micro-algues, le sac est vide de vêtements, si l’on excepte les rechanges en linge de corps. J’ai tout prévu superposable, et allégé au maximum. Deux knickers minces, mais l’un est un knicker de ski de fond, en élastiss, et très près du corps, l’autre est un knicker d’escalade, en coton léger, mais ample, et qui ne tient à ma taille que grâce à la ceinture. Et je ne les ai portés superposés, et avec le surpantalon imperméable, qu’à ce passage le plus froid dans le pire temps. Et le reste de la sélection est à l’avenant. Le linge de corps a été sélectionné par son poids. Les T-shirts font quatre-vingt-dix grammes, et je n’en ai que trois. La brosse à dents a le manche tronqué, pour gagner du poids...
Propreté ? Aux étapes, le linge de corps imbibé de sueur est mis à laver par le ruisseau sous une pierre, et il séchera suspendu au sac le lendemain matin. La couleur n’y gagne pas, mais le nez et l’hygiène y trouvent leur compte, et on fait une vraie lessive à l’Auberge de Jeunesse. Ai-je seulement un drap de duvet ? Je ne crois pas me souvenir d’en avoir eu un.
De 1968, j’avais gardé une veste
imperméable Far’O, en
nylon imper intérieur et extérieur rouge, et un
léger ouatinage entre les deux. Pour son poids (590 g avant
réparations lourdes),
c’était l’idéal dans ces
randonnées actives :
à la pause, tout trempé de sueur dans ce vent
vif, vite
la veste, et je ne me refroidissais pas dans le vif vent du
Jotunheimen. Au bivouac, glissée dans le sursac sous le
duvet,
elle isolait bien du sol. Elle était fragile et peu
imperméable, mais je n'ai jamais pu retrouver aussi
léger
que celle-là.
Après de nombreuses réparations peu fines, notamment suite à une chute en mobylette, ce vêtement n'est plus guère utilisable en randonnées, plus assez imperméable, mais encore chaud.
Autres travaux de couture pour transformation de vêtement : en 1968, j'avais un blouson de nylon beige taillé pour la frime, trop court, de taille trop serré, et dont le capuchon escamotable protégeait mal. Le voici retaillé : le repli de ceinture serrée a été ouvert, le col est devenu un départ de capuchon enveloppant, et les aisselles ont gagné un col d'aisance. Certes inélégant, ce petit blouson est encore fonctionnel sous les neiges fines, les bruines, et donne désormais satisfaction depuis Noël 1968.On remarque que la glissière d'origine, trop
courte, est prolongée en haut et en bas par des agrafes.
Le fort fil nylon gris de mes coutures a une histoire : je l'avais
acheté un soir de bruine dans une landshandel, probablement
dans la Valdres, et il semblait prévu pour la
réparation des filets et épuisettes.
Voici le détail de la rehausse de capuchon et des pointes
d'aisselles :
Poids actuel : environ 215 g.
Vers le lac de Lille Værivatnet, je bivouaque dans le sas
d’un
chalet fermé (ou sur sa terrasse abritée ? ).
C’est
là que je découvre le gros
inconvénient du hamac,
par temps froid. Impressionné en 1968 par des
forêts
pentues, au sol impossible et détrempé,
j’ai aussi
emporté un hamac de bivouac en paroi, et j’en ai
été très déçu
par ce temps froid. En
effet, le duvet léger et gonflant, ne vous isole que parce
qu’il
est gonflé. Or le hamac se referme totalement au dessus de
vous,
et vous enferme, pour que vous puissiez dormir tranquillement entre vos
deux pitons, au dessus du vide. Donc il comprime le duvet de toutes
parts. Et vous avez froid !
Je vais longer Lille Værivatnet puis piquer WSW vers le lac
Andkil, puis Evjö ; retour à la route principale et
à la civilisation. Je suivrai à pied la route
avant de
bivouaquer peu avant Fauske. Puis à pieds jusque
Bodø. La
côte devient de plus en plus basse. Au soir un grand courlis
m'accompagne de ses chants territoriaux, d'arbre en arbre.
Huitriers pie et gravelots sur les grèves. Je n'en avais
encore
jamais vus en vrai auparavant.
Laver enfin son linge à l’Auberge de Jeunesse ! De l’aérodrome de Bodø, décollent tous les quarts d’heures deux bruyantes lampes à souder : une patrouille de F104. Un immense territoire à patrouiller, et bien peu de sites propices à l’implantation d’un aérodrome pour intercepteurs. Un pilote de chasse m’interviewe sur mon banc public. Il a bien repéré en moi un étranger, si brun. Mais nous avons si peu à nous dire. Dommage.
Je repars en bateau vers Sund Gildeskål. Je suis la route quelques kilomètres. Village d’Inndyr, puis Dal, et je monte. Je découvre des cabanes en pleine montagne, qui ne sont que pour les lignards : la pose et l’entretien des lignes haute tension Et ce sont de bien bonnes cabanes, luxueuses et propres.
Descente par Langdalen jusque Glomfjord, ville productrice
d’électricité et d’aluminium.
A l’avant dernière
étape dans Langdalen, passage à vide, et
plusieurs heures
de paresse, puis bivouac. Le lendemain, reprise du rythme actif normal.
Ce sera mon plus long voyage : neuf jours en autonomie
complète. Je monte vers le glacier de Svartisen, le long de
son
émissaire, la Fykanåga. Perplexité
devant le grand
lac de barrage.
Très belles photos du Svartisen par Patrick Millerioux
à
http://perso.wanadoo.fr/patrick.millerioux/Svartisen7w.jpg,
http://perso.wanadoo.fr/patrick.millerioux/Svartisen3w.jpg,
http://perso.wanadoo.fr/patrick.millerioux/Svartisenw.jpg.
Storglomvatnet : passer à droite ou à gauche ? A
Storglomvasabrakka, immense baraque en bois abandonnée,
datant
de la construction du barrage, le courant est gratuit sur un
réchaud électrique oublié. Je fais de
la cuisine
d’avance. Après une hésitation vers
l’ouest, devant le
caracrère abrupt des rives et les séracs qui
surplombent,
je me
décide vers l’est.
Le gué de la Glomåga ne me laisse
pas de
souvenir ému, mais attendons le suivant ! Encore une
baraque, en
plus triste état encore, puis rivière
infranchissable
à gué, trop rapide, à se tuer. Non
nommée
ni même portée sur ma carte au 1/400
000, elle descend
directement du glacier. Voici une image de gué franchissable, dans le
parc
Padjelanta : Ici, il n'en est pas question ; il faut escalader la gorge, et passer par le glacier. Un passage est trop acrobatique avec mon gros sac. Je plante un piton, et j’y accroche mon sac, puis continue seul vers le haut. En haut, je plante une large broche derrière un gros caillou, y accroche la mince corde (7 mm), et redescends pour y mailler mon sac. Le piton est dur à décoincer : je n’ai pas de vrai marteau, juste un piolet, et aucune expérience ni du pitonnage, ni du dépitonnage. Le piton part brusquement. Moi et mon sac nous retrouvons suspendus dans le vide au dessus du torrent grondant dans le soir. Je récupère prise, remonte en libre sur le plateau, d’où je vais hisser mon sac à la corde. Et... cette large broche qui m’a sauvé la vie, je la tire entre le pouce et l’index ! Elle n’a tenu que par l’arc-boutement ! Plus haut, ce sera mon premier contact avec un glacier, mes premiers crampons chaussés. En fait, les seules semelles Vibram eussent suffi sur cette grosse neige dure, aux reliefs et aux ponts tous sains et solides. |
Voici les pitons dont je disposais en 1969, un court et mince, un moyen, une large broche à neige dure. Je doute que j'avais en Norvège la broche à glace en tire-bouchon que l'on voit à droite. La broche à neige avait servi à plusieurs reprises à ancrer mon abri dans la toundra.
En redescendant du Svartisen le long de la Vesterdalen, je marche longtemps dans la demi nuit, sous la pluie fine : pas d’abri convenable. Les bouleaux nains dans la pénombre, et pas d'abri, pas de roche surplombante pouvant fournir un bivouac... Jusqu’à m’abriter recru de fatigue dans la grange de la plus haute ferme. D’excellentes gens, que je n’ai jamais su remercier qu’en paroles.
En franchissant une petite barre rocheuse, j’ai le malheur de casser un des pieds de la claie de mon sac. Le fabricant, Millet, n’a jamais refait depuis l’erreur de conception de cette claie : la courroie de ceinture, et la sangle de portée sur le sacrum, sont portées par les pieds de la claie. Or ces pieds sont déjà percés pour porter le rivetage d’assemblage. La fissure est partie de ce trou. D’un seul coup, le portage devient très douloureux, sans cette indispensable courroie de ceinture, et sans portée correcte pour la sangle basse. Les réparations sur place sont bien décevantes.
L’attaque des moustiques devient affreuse… Bivouac dans la forêt-taillis de basse altitude. C’est frappant comme tous les étages de la végétation sont abaissés : ce n’est pas tant la latitude qui est en cause ici, mais bien le voisinage de ce Svartisen, glacier relicte de l’inlandsis quaternaire. Au matin, finissant de replier mon bivouac, j’entends arriver le car que je tiens à prendre, vu l’état désastreux de mon portage. Je me rue sur la route. Le car s’arrête. Je paie, on part. Je prends ma place, et je lâche un gros juron. Abruti que je suis ! J’ai oublié mon piolet dans l’herbe !
Premier souci à l’A.J. de Mo i Rana : trouver les outils, l’araldite et le fil de fer pour réparer l’armature de mon sac à dos. La pince était de bonne qualité : je l’ai encore dans la boîte à outils familiale. Euh, non ! C’est Gazonbleu qui l’a. Elle a tout raflé, et m’a dépouillé de tout, jusqu’à présent. La réparation aussi était de bonne qualité : en 1977, elle tenait encore bon. Et après, je ne sais pas, j’ai donné le sac à mon beau-frère.
Etape suivante à Mosjøen, par le stop. Bien petite ville, fort coquette, et fleurie Les gamins aiment bien repérer les étrangers sur leur mine, et les aborder en anglais. Ils sont surpris que je leur réponde en norvégien. Un de ces gamins m’interviewe. Je dois lui expliquer d’où je viens. Et toi, tu es de Mosjøen ? « Ja ! Den største byen i verlden ! » commence-t-il à se rengorger, sans savoir s’arrêter (Oui ! La plus grande ville du monde !). « Verldens nævle ? » (le nombril du monde ?). « Nei ! » lance-t-il décontenancé, et va chercher ailleurs à se vanter plus sûrement.
C’est l’automobiliste qui me conduit de Mosjøen à Trondheim (ou le second ? dans sa vieille Volvo des années cinquante) qui me fait enfin prendre conscience (au bout d’un an !) que le norvégien est totalement, une langue chantée. Je commence par me demander s’il est exalté. Pourquoi toutes ces montées et descentes de voix sur chaque mot, à tout instant dans la phrase ? Il les exagère comme à plaisir... Il prend tout son temps pour fignoler ces effets de voix et de hauteur. On est parfois bien lent à saisir ce qui est présent dès le premier jour ! et de plus écrit dans les bons livres... Tous les mots norvégiens ont leur façon spécifique d’être chantés. C’est ça, ou rester étranger sourd-muet. C’est au chant, que l’on distingue « tømmermen » de « tømmermen ». Dans tous les cas, un automobiliste qui a le courage et la gentillesse de s’arrêter pour vous prendre en stop, est toujours une personne intéressante, pleine d’idées sur presque tout - et souvent sur la politique de toute l’Europe. Mais parfois, il faut bien s’accrocher, parce que ça bouillonne.
Arrivée à Trondheim. Le gens sont tourneboulés. Ils ont passé une nuit blanche devant leur téléviseur : la NASA a posé un premier astronaute sur la lune. Un israélien rencontré au kiosque à journaux, m’assure qu’il va envoyer un télégramme de félicitations à Tsiolkovski, l’inventeur de la fusée. Mais Tsiolkovski est-il encore vivant en 1969 ? Notre enthousiaste est persuadé que oui. La Weekly Selection du Monde me donne des nouvelles de mon pays.
Malgré des projets dans l’auberge de jeunesse de Trondheim, dans la chaleur des chants en canon dans toutes les langues (Le coq est mort ! / The cock is dead !...), je repartirai seul en stop, vers le massif de Dovrefjeld, qui avait vu mes débuts de randonneur solitaire.
Je progresse vers le SW le long de Rødfjeld Vatnet
en
direction de Trolhetta, que je gravis à 1642 m, si
j’en crois le
trait de stylo à bille sur ma carte au 100 000.
Les gens vont d’auberge de montagne en auberge de montagne,
bien
plus légers que moi, mais dépensant assez lourd.
Deux
d’entre eux qui me rattrapaient peu avant d’arriver
à
Trollheimshytta, se détournent du sentier, et
guidés par
leur nez, vont droit vers mon abri sous un surplomb : « Det
smaker mat ! » (ça sent le manger !).
Pardi ! elle
sent fort épicé, la soupe en sachet que je fais
cuire sur
mon petit réchaud. Je dormirai sans autre abri contre la
pluie
nocturne, qu’un tronc renversé, juste assez large
pour mon corps.
Après Trollheimshytta, je continue au SW jusque sous
Løsetknobben où je bivouaque, puis descente au
Sud vers
Storli. Dans la soirée j’ai vue sur le Gjevilvatn.
Bivouac dans
la hauteur de Brona. A Storli se recoupe mon itinéraire de
juillet 1968. En remontant SW dans les marécages de
Slobækken, je passerai à demi rassuré
en
m’enfonçant dans l’herbe profonde sur
gley mou, entre les
petites vaches norvégiennes, si agiles et
musclées. Je
mesure à quel point je serais en danger de mort si je leur
déplaisais. Etape facile, plein sud dans la montagne
très
rabotée par les glaciers, jusque vers 1550 m le long de
Svartdalskollen et Græslitind. Puis quelques succulentes
mûres et framboises plus bas, vers Lihjell, sur la route
d’Oppdal.
Oppdal était le point de départ de ma
randonnée
de 1968. A l’Auberge de Jeunesse, je détaille
Aftenposten, le
journal conservateur. Un billet de Karl Frederik Ingolstadt
(journaliste réactionnaire, au parler rocailleux, un peu
haché, vieille connaissance des rencontres de Kristiansand)
pleurniche et grince sur l’expédition lunaire, qui
n’a pas
trouvé de vie sur la Lune, alors que lui, il reste dans son
jardin, et cueille répétitivement des
prestekraver, des
cols de prêtre, ou marguerites.
Dans la lecture des journaux, j'assiste à une partie de la campagne
électorale pour les législatives de septembre 1969, qui reconduisit la
coalition bourgeoise dirigée par Per Bortens (Senterpartiet, ex-agrarien lui-même). Aftenposten relayait la campagne du parti Høyre
(Droite), donnait la parole à Fru Elisabeth Schweigaard Selmer,
ministre de la Justice, femme certes fort belle, énergiquement
réactionnaire, et à Herr Otto Grieg Tidemand, homme d'affaires et
ministre de la défense, qui défendait un budget militaire fort lourd,
très engagé dans l'OTAN. Pour la campagne électorale, leurs photos étaient flatteuses à souhait.
Biographie d'Elisabeth Schweigaard, épouse Selmer : https://www.stortinget.no/no/Representanter-og-komiteer/Representantene/Representantfordeling/Representant/?perid=ELSE&tab=Biography
Et beaucoup plus succinte, mais avec une photo : http://no.wikipedia.org/wiki/Elisabeth_Schweigaard_Selmer
Celle de Otto Grieg Tidemand : https://www.stortinget.no/no/Representanter-og-komiteer/Representantene/Representantfordeling/Representant/?perid=OTTI&tab=Biography
Avec photos : http://no.wikipedia.org/wiki/Otto_Grieg_Tidemand
Les mots politiques n'ont pas le même sens en
Norvège qu'en France. là bas "Venstre", ou Gauche, désigne le parti libéral, parti fossile qui limitait ses affiches à répéter trois fois son nom : "Venstre, venstre, venstre".
Parti de 45,4 % des voix en 1906, deux gouvernements monocolores de
1908 à 1920, il fit encore 9,4% des voix en 1969, mais 3,5 % en
1973, membre des coalitions bourgeoises (quoique autrefois, au 19e
siècle, allié aux travaillistes).
De 1945 jusqu'en 2005, les gouvernements travaillistes avaient tous été monocolores. En 2005 entrent au gouvernement le Sosialistisk Venstreparti, avec 8,8 % des voix, 15 députés et 8 ministres, en coalition avec le Senterpartiet, 11 ministres. Cette coalition a été reconduite en 2009.
De 1935 à 1945, le gouvernement Johan Nygaardsvold dirigea en coalition avec le parti agrarien, exil à Londres inclusivement.
Fin et retour sur Oslo, puis à l’aérodrome.
Un mot encore à propos de ces vaches norvégiennes: en Norvège, achetez et buvez du lait ! Ou au moins des fromages, si votre intestin ne digère pas le lait. Cela n’a pas grand chose de commun, sauf le nom, avec le machin aqueux que nous buvons en Europe plus méridionale. Les deux charmants néerlandais qui en 1968 m’avaient pris en stop vers Åmot - « On a vu marcher un grand sac rouge, avec de petites jambes en dessous. On a voulu savoir ce qu’il y avait devant le sac ! » - m’ont confirmé : si la quantité fournie par une vache norvégienne est dérisoire en comparaison de ce que fournit une vache hollandaise, la qualité est exactement en proportion inverse.
J’en profite pour répercuter un conseil
d’un auteur
norvégien (Ragnar Frislid) : Unngå kuer
om du har hund
med ! Avec un chien, évitez les vaches ! Le chien
est assez
agile pour s’en tirer, mais vous ? Vous risqueriez fort de ne
jamais
revenir raconter votre mésaventure.
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dans : Opéré de la Gette.
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